[TÉMOIGNAGE] Romuald : “le VIH a participé à faire de moi une meilleure personne, à être moi-même”.

C’est la fin de l’été. Je suis dans une période euphorique, presque maniaque. Je traîne dans le petit bois à la sortie de la ville. J’en profite allégrement. Je tombe sur un gars qui me fait craquer mais j’ai plus de capote et lui non plus… Je me suis toujours refusé à baiser sans capote… Jusqu’ici… 

Pourquoi cette fois je ne m’écoute pas, je ne le saurais sûrement jamais :  l’arrière-saison est agréable ? Les hormones en folie ? L’euphorie qui donne un sentiment d’invincibilité ? 

Je fais sans !

Je n’angoisse pas tout de suite. Même si une petite voix dans ma tête me répète qu’il suffit que d’une fois pour choper le VIH. C’est à partir du moment où je me chope un truc avec tous les symptômes d’une grippe que je flippe et que je redescends violemment sur terre ! Il n’y a pas à tortiller du cul, il va falloir faire le test !

Je n’y arrive pas, je recule, j’ai toujours une bonne raison de ne pas le faire. Et puis je me lance un matin d’avril. Le soir, je passe chercher les résultats et je comprends tout de suite : la secrétaire me demande d’attendre sur le côté, on doit me faire une autre prise de sang. 

Me voilà infecté, je le sais.

Je pleure et tremble comme une feuille. Chez mon médecin, la secrétaire me met à part et m’offre un café. Le médecin confirme et me dit qu’un test supplémentaire est nécessaire pour confirmer le diagnostic…

Ma vie vient de s’arrêter. Physiquement et mentalement je me sens incapable de faire quoi que soit… Je n’ose pas rentrer chez les parents. Il est tard, je dois rentrer et là sans réfléchir je l’annonce à mes parents (encore quelque chose que je ne comprendrais jamais). Ils ne comprennent rien : ma mère semble perdue et mon père répète en boucle que c’est une erreur et qu’il faut attendre l’autre prise de sang. 

La première nuit de la fin de ma vie est blanche et longue. J’ai cours le lendemain et je ne sais pas quoi faire. J’y vais finalement et j’arrive à faire comme si. Le soir je m’écroule et passe le week-end sous Lexomil. Je repars bosser le lundi, toujours en mode zombi.

Quelques jours interminables plus tard, j’apprends que mon positif est un vrai positif : je suis donc séropo !

Comment moi j’ai pu en arriver là. Avec tout ce que j’ai fait comme moral, comme prévention aux autres, tout ce que je savais ! Il y a beaucoup trop de choses dans ma tête : de la colère, de la culpabilité, de la honte, du dégoût, la mort. 

Voilà c’est mon état, je vais devoir faire avec ou sans, je ne sais plus. Je ne pourrais pas avoir de vie de couple avant d’y avoir goûté ! J’ai toujours eu des angoisses de mort depuis mes 14 ans et me voilà avec quelque chose qui va me tuer vraiment ! Le mal que je fais à mes parents, aux autres… 

Je vais mourir à chaque seconde d’une crise cardiaque ou de mon cerveau qui va exploser ! 

L’image qui revient sans cesse : je me vois au fond de ma tombe, décharné, recouvert de Kaposi, la famille et mes amis en haut et je ne peux plus remonter… 

C’est la première chose que je dirais à la psy que je rencontrerais au CH après la première consultation. Ma mère m’accompagne mais ne peut pas rentrer avec la psy, ni même au début de la consultation avec l’infectiologue. Être dans la salle d’attente est un calvaire.

Pendant la consultation, on me rassure vraiment et je ressens une bienveillance qui m’apaise un peu. Ma mère aussi est rassurée : elle peut poser toutes les questions qu’elle souhaite. J’ai l’impression qu’une consultation ne sera pas suffisante pour tout dire alors que ça fait plus d’une heure qu’elle a commencé ! 

Je ressors sans traitement : à cette époque il débute quand les CD4 et la charge virale sont à un certain niveau. Ça me rassure à moitié.

Les premiers temps sont étranges : je ne sais plus si je dois faire le deuil de ma vie, et de quoi sera fait l’avenir. La dépression est là et l’antidépresseur aussi. Je suis un mort-vivant. 

Et puis la vie reprend son cours. L’alternance études/boulot. La famille, les amis pour qui il faut faire semblant.

Quelques mois après, je rencontre un garçon charmant sur internet. Nous parlons beaucoup en ligne et au téléphone. La musique nous rapproche. Je me souviens encore de ses questions pour savoir si je suis fan de Prince puisque lui était un fan hardcore ! 

Il allume une petite flamme qui vacille dès que je repense au VIH. Nous nous voyons malgré les 4 heures de route qui nous séparent. Tout se passe formidablement bien. Trop d’ailleurs. Je ne lui dis rien. On se protège. 

Mais ça ne me va pas. Je n’arrive pas à me dire que je dois lui cacher ça ! Ma mère me dit que ça serait sûrement mieux de lui dire et que s’il m’aime alors ça ne changera rien. Je suis naïf mais là elle me prend pour un jambon ! 

Puis un soir je me lance : il encaisse le choc de l’annonce. Lui aussi se pose des tas de questions. Mais sa réponse est claire et nette : ça ne change rien pour lui ! C’est à nouveau la folie dans ma tête, cette fois dans l’autre sens…

Je suis persuadé que grâce à cela et au suivi que j’ai à l’hôpital avec une équipe merveilleuse, je n’ai pas sombré dans un laisser-aller total. Je sais très bien que je n’aurais pas pu tenir à faire semblant longtemps et que la dépression m’aurait eu à un moment ou un autre, que l’idée de me donner la mort serait revenu à nouveau.

Un an après, nous emménageons ensemble. Je tiens le coup malgré des bas et des angoisses à chaque bilan tous les 2 mois. 

Pour mes 30 ans, 5 ans après l’infection, je dois débuter les antirétroviraux : c’est une nouvelle étape, une nouvelle épreuve. Je m’y attendais et je sais que c’est pour mon bien mais c’est très dur. Je suis prévenu des effets secondaires et que les premiers temps la surveillance sera accrue.

J’y vais : un vendredi soir je prends mes premières gélules et je vais me coucher. La nuit a été un cauchemar : je passe la nuit à en faire. Et un cauchemar parce qu’impossible de me lever pour aller pisser tellement ça me tournait ! Je confirme que la trithérapie ce n’est pas du citrate de bétaïne !

Les premiers jours sont compliqués. Je me motive comme je peux et mon homme me soutient avec son amour et sa force comme depuis le premier jour ! Les effets secondaires se diversifient, vont et viennent. J’arrive à continuer à bosser. Et puis il faut préparer la fête pour mes 30 ans et les 80 ans de ma grand-mère et tout faire pour qu’elle ne se doute de rien !

Voilà les premières grandes étapes de ma vie avec le VIH. Le traitement est plutôt bien toléré et fait effet. On déménage pour la Lille et je change d’hôpital. Je choisis Dron parce que c’est un centre de référence pour le nord de la France. Ça change un peu, le nombre de patients et de médecins y est beaucoup plus élevé. Il y a un côté « usine » qui m’angoisse un peu. Et puis il faut que je change de psy aussi.

Je n’en trouve pas qui me convienne. Le traitement change. Les médecins changent. Je me retrouve avec une aggravation de la dépression que je pense due aux changements. Je ne veux plus être suivi là. Je veux revenir sur avec mon ancienne équipe avec qui tout se passait bien. C’est une période un peu cauchemardesque : entre ça et les boulots qui s’enchainent, rien ne va, je sombre de plus en plus.

Mon tout premier médecin amiénois me propose de rencontrer à Dron un médecin qu’il connait bien pour essayer de démêler tout ça. Il me sauve la vie. La doctoresse est petite, rude et sèche : nous l’appelons la Kommandantur ! Cette rencontre change ma vie au niveau du VIH : un des médocs aggrave la dépression, elle remet tout à plat : nouveau traitement, nouveau rythme, nouveau discours. Les choses retrouvent une certaine sérénité. 

Les choses se gâtent un peu avec une succession de décès : ma marraine, ma grand-mère que je chérie plus que tout au monde et enfin mon père qui part en quelques mois d’un cancer. Ma vie s’effondre à nouveau. Et là la crise est grave parce que je vais jusqu’à penser au suicide, j’ai des crises de folie. J’en suis même à détruire des choses dans l’appartement. 

A la suite d’une crise et ne sachant plus vers qui me tourner, je me rends à l’hôpital voir mon infectiologue. Après discussion avec le psychiatre du service, je me retrouve dans un centre d’accueil de psychiatrie spécialisé dans les crises. Quelques jours d’hospitalisation pour reprendre un peu d’oxygène.

Après cet épisode, je dois être suivi : par le psychiatre du service de maladies infectieuses et au CMP par une infirmière psy et une psychomotricienne. Je vais rencontrer quelqu’un qui va faire beaucoup dans ma vie et qui compte toujours pour moi : madame M. la psychomotricienne.

Grace à elle et depuis 4 ans, j’apprends à écouter mon corps, me respecter, faire qu’on me respecte. Elle m’aide à dénouer tous les fils emmêlés qui font que je suis sujet à ces crises de dépressions et de folie presque maniaques. 

J’ai repris les rênes de ma vie. J’ai changé de boulot. On a acheté un appartement. Le VIH est sous contrôle. Je fais du sport. Je m’investis chez SOS Homophobie. Je suis stable niveau psy. J’ai vraiment l’impression d’être moi-même et d’être complétement heureux et épanoui !

Aujourd’hui je sais que le VIH c’est une maladie chronique et je le prends ainsi : je fais tout pour être en bonne santé avec le sport et mon mode de vie, j’ai un suivi régulier à l’hôpital. L’image que j’avais lors de mon infection appartient au passé et fait partie d’un souvenir que je partage aujourd’hui. 

Vivre avec le VIH n’est pas une chose à prendre à la légère : c’est une maladie qui tue toujours, elle nous impose aussi à respecter des règles. Les effets secondaires ne sont pas insurmontables mais ils existent. Mais tout cela ne m’empêche pas d’être heureux et vivant, de profiter des bons moments et d’affronter les mauvais, de vivre comme la plupart des gens : d’avoir une vie amoureuse, sexuelle, professionnelle, sociale, amicale et j’en passe et des meilleurs.

Je pense même aujourd’hui que le VIH a participé à faire de moi une meilleure personne, à être moi-même.

 

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